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Sortie du DVD de Notre Monde

Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
Rassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°32 [décembre 2000 - janvier 2001]
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Chine : vers le cauchemar climatisé


Pékin, ville des extrêmes et des paradoxes, son aéroport international flambant neuf, verre et métal, dans la fraîcheur de la clim, première queue au passage de la douane avant de plonger dans la fournaise moite d’un pays qui s’installe en douceur dans l’économie libérale. Le régime s’accroche comme une moule à son rocher et à ses privilèges. Les dirigeants roulent dans des Buick et des Cadillac aux vitres teintées, et se partagent les plages privées et gardées de Beidaihe sur la Mer Jaune. Ils verrouillent la démocratisation politique mais encouragent l’entreprise individuelle. Enrichissez-vous, nouveau mot d’ordre révolutionnaire. Et de fait se crée peu à peu une classe de nouveaux riches qui fait du fric dans le commerce, l’immobilier ou la restauration. Le secteur privé contrôle dorénavant un tiers du produit intérieur brut. Ces capitalistes « ont plongé dans la mer », métaphore désignant ceux qui se sont lancés dans les affaires. Ils roulent en Mercedes, classe S de préférence, pourtant vendues deux fois plus chères qu’en Europe et ne lâchent jamais leur téléphone portable.



La toile étend son empire sur le Milieu



Il suffit de lever le nez pour prendre en pleine poire les symboles de la mondialisation, ils sont tous là les requins : Philips, Siemens, Erickson, Coca-cola et son alter ego Mc Do. Même KFC, autre fastfoodeur US, vient en Chine jouer à la concurrence avec Mc Do. Leurs noms et leurs logos ont remplacé les slogans maoïstes sur les immenses panneaux publicitaires qui décorent les villes et les abords urbains. Carrefour en grosses lettres rouges sur les bus bondés et exténués de Pékin. Le Français a déjà ouvert vingt-six superhypermega sur l’ensemble du territoire. Comme tous ceux qui s’installent en Chine, Carrefour ne gagne pas forcément d’argent mais il occupe le terrain et parie sur l’avenir, l’empire du milieu est au 4e rang mondial pour ses possibilités de développement. Ces implantations commerciales ou industrielles fonctionnent en associant capitaux étrangers et chinois, manière d’introduire dans un premier temps un libéralisme soft, contrôlé par le régime... Très à la mode aussi au moins dans la pub, les sites Internet. La toile s’étend lentement sur l’empire du milieu, 17 millions d’internautes, une goutte d’eau dans l’océan des 1,3 milliards de chinois dont quelques opposants exilés aux States profitent du Web pour titiller le régime.



Hutongs contre

centres commerciaux



Pékin est un immense chantier, hésitant entre modernisation à tous crins et sauvegarde des traces encore bien vivantes du passé. Ce sont les hutongs, ces quartiers populaires, vestiges pittoresques de la ville ancienne et quasi rurale, un ensemble de maisons traditionnelles organisées autour d’un dédale de ruelles, de vraies unités de vie, certes plus ou moins salubres mais où visiblement existent encore des solidarités.

Plus pacifique qu’un Pékinois, ça n’existe pas. Là-bas, le kla-xon utilisé à tout bout de champ remplace les insultes. Mais les hutongs cèdent peu à peu la place, rognés par l’ouverture de voies de circulation pour l’automobile en-vahissante et par la construction de zones commerciales et d’habitations qui se couvrent d’immeubles gigantesques, à la vitesse de la pousse des ceps en automne... Cons-cientes notamment de l’intérêt touristique des hutongs, les autorités ont pourtant décidé de préserver vingt-cinq de ces quartiers dans le cœur de la ville autour de la Cité Interdite.

A Pékin comme à Xi’an, cohabitent sans heurt apparent une richesse tapageuse et une pauvreté discrète. Nan Dajie, la rue centrale de Xi’an, an-cienne capitale de la Chine, six millions d’habitants, affiche un petit air de Champs Elysées : boutiques de luxe, hôtels du même métal, tout en marbre et en verre, trottoirs gardés par des flics qui interdisent au petit peuple de stationner trop longtemps devant ces trésors occidentaux qui lui sont, de toutes manières, hors d’atteinte.

Ici, la pompe Nike, la vraie, pas la contrefaçon, coûte plus de 500 yuans, la moitié d’un salaire mensuel moyen. Il existe même, beaucoup moins chères, des chaussures de sport qui portent la marque Pepsi. A peine plus loin, dans cette ville industrielle et polluée en particulier par des véhicules en mauvais état, les rues en terre des quartiers populaires ressemblent à des cloaques après la pluie. Plus loin encore, à la sortie de la ville, au milieu d’un no man’s land sur la route de l’aéroport, un Zénith flambant neuf. La ville est jumelée avec Pau…



Une société inégalitaire



Le peuple chinois a sans doute compris qu’il avait plus à perdre qu’à gagner à un éclatement brutal du système politique et à une libéralisation économique forcée. Ils craignent, à juste titre, une prise de pouvoir par les mafias (déjà présentes dans certains secteurs, les Russes notamment, dans le textile) et une décomposition sociale déjà bien avancée. L’armée, mafia à galons, s’est déjà approprié une bonne partie des secteurs économiques clefs. Elle partage d’ailleurs avec la mafia civile son goût pour les grosses cylindrées, de marque étrangère de préférence.

Une société à deux, (3,4,5) vitesses que l’on retrouve dans tous les secteurs, comme l’hôpital de la Concorde, gros centre hospitalier universitaire, avec une partie pour le tout venant, saturée et lente, une partie « spéciale » pour les cadres chinois et les étrangers. Quand l’occidental averti mais néanmoins curieux s’aventure du coté « chinois », un policier vient courtoisement lui signaler qu’il fait erreur. Deux poids deux mesures qui s’affichent aussi parmi les taxis. Selon l’état du véhicule, le prix varie. Idem pour les transports en commun ; si les bus bondés et lents ne coûtent quasiment rien, des minibus beaucoup plus chers doublent les lignes ; ils ont la réputation de se frayer plus efficacement un chemin dans le fouillis de la circulation. Le métro enfin, frais, rapide et non polluant mais avec un réseau peu important, coûte le plus cher.

Il suffit simplement de trouver son rythme et Pékin devient une ville passionnante que l’on peut sillonner en tout sens jour et nuit. Au-delà des incontournables traces du passé, temples, pagodes, palais, tombeaux, armée de terre, lacs et jardins, c’est le grouillement de la vie qui captive. Les chinois, au regard de notre statut de visiteurs étranges et étrangers sont des gens affables, souriants, très accueillants. On se dit alors que Pékin fait partie de ces villes, comme Prague et Lisbonne où l’on s’installerait volontiers un an ou deux, peut-être plus, pour avoir le temps de se couler dans les murs ; là-bas, on disait à une époque, je crois, être comme un poisson dans l’eau.


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