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Sortie du DVD de Notre Monde

Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
Rassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°34 [avril 2001 - mai 2001]
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Les paradoxes de la prison, entre la parole et les actes…

La parole confisquée des personnes détenues
Que dire de plus ou de mieux sur la prison que ce qui a été dit depuis la parution de l’ouvrage brûlot de Véronique Vasseur qui a mis le feu aux poudres. Le constat effarant et l’état des lieux du désastre carcéral a été reconnu par chacun. Commissions parlementaires, politiques, associations, tout le monde s’est accordé à dénoncer un système indigne d’un état de droit, dans un lieu - et c’est pour le moins paradoxal - qui est censé incarner le droit. Si la parole l’emporte donc sur le silence et au-delà des agitations médiatiques se traduit par la voix de l’avocat au prétoire, il est à craindre que les paroles, parfois incantatoires ne soient pas suivies d’effets et que prendre la température du chaudron carcéral ne suffise pas à la faire baisser. Pour l’heure tout est comme si ces flots de paroles avait un effet cathartique. La parole a été purgée, les doléances consignées, le livre blanc refermé risque fort de se retrouver sous peu parmi les archives poussiéreuses de la littérature de l’histoire carcérale.

Tout est comme si en libérant la parole on s’était libéré de la prison et de ses plaies. En allongeant la vieille dame pénitentiaire sur le divan, les mots se seraient substitués aux maux. La fonction performative du discours ne suffit pas toujours à changer la réalité. Outre qu’il favorise la démobilisation, cet illusionnisme social est le miroir d’une démocratie falsifiée.



Les observations concrètes nous rappellent que l’effet placebo de ce processus n’est pas opérant, pour peu que l’on soit vigilant à ne pas se laisser endormir par les discours de prestidigitateurs qui sont parfois plus préoccupés par leur prestige personnel que par le changement de réalités sociales inacceptables.

La parole la moins entendue et celle qui a probablement le moins circulé est celle des personnes détenues et de leurs proches, c’est-à-dire les premiers concernés, qui le plus souvent « sont parlés » pour reprendre l’expression de Pierre Bourdieu. Comme confisquée par les ayant droits de la parole autorisée et légitime de la chose carcérale et judiciaire, la parole des personnes détenues a été en quelque sorte écartée des débats. Combien de tribunes accordées aux personnes emprisonnées a-t-on trouvé dans la presse nationale alors que tant d’experts patentés ont pu écrire plus qu’il n’avait à dire ? Lorsque certains détenus sont cités par quelques journalistes, c’est le plus souvent pour faire un peu « réaliste », pour montrer que « ces aventuriers » y sont allés, et qu’ils en sont revenus comme quand on revient du front et que l’on s’appelle BHL, qu’ils ont vu de leurs yeux vus. ça « fait plus sexy » (…) disent certains journalistes aux sociologues. On finit par se demander si les lecteurs ou les téléspectateurs n’ont pas plus de compassion pour ceux qui ont vu la souffrance que pour ceux qui souffrent. Ainsi si la souffrance est comme désincarnée et transposée chez les voyants-voyeurs dont on se demande ce qu’ils donnent à voir. La parole des détenus lorsqu’elle est citée est vidée de toute substance politique, quand elle n’est pas mise en scène et « folklorisée » dans des simulacres de débats télévisés dont la seule visée est le sensationnel et l’audimat. Pour les shows, il faut que ce soit chaud. Ainsi, on donne une vision caricaturale et l’on oublie les enjeux. Les familles de personnes détenues ou les militants servent d’alibi à une pseudo neutralité télévisée « bienveillante », leur non maîtrise des règles du jeu du champ médiatique et du langage policé renforce parfois l’idée qu’ils ne sont pas écoutés parce qu’ils ne savent pas se faire entendre. Leur parole est prise en otage, leur image est instrumentalisée et savamment cadrée pour les besoins de la cause.

Reste que le trop plein de parole - en vase clos - ne fonctionne pas en vase communiquant avec la saturation de la souffrance. Et qu’est-ce que le droit à la parole en matière de droits de l’homme s’il n’est pas couplé à un devoir d’entendre ?

Pourtant des détenus prennent la parole de la prison. En février dernier, 63 détenus de la maison d’arrêt de Villefranche ont signé une pétition qu’ils ont destinée au garde des Sceaux, Marylise Lebranchu. Cette pétition dénonçait « une atmosphère d’extrême droite ». « Nous désespérons, et nous craignons que cette atmosphère permette à l’ensemble des détenus de se révolter par la violence » avertit la pétition où les détenus protestent contre des « exactions, des expéditions punitives, la discrimination raciale et religieuse et l’atteinte à la liberté de culte ». Ce à quoi le directeur adjoint, M. David Schots répond outré et indigné, « les termes employés sont purement calomnieux et diffamatoires, j’espère que l’administration centrale prendra les mesures nécessaires pour apporter réparation au personnel mis en cause. Il est certain que si un surveillant dépassait les limites, il serait sanctionné ». Ici l’accusé se retrouve la victime alors que les propos des détenus sont corroborés par différents témoins extérieurs et que c’est un secret de Polichinelle.

Quand aux sanctions, elles sont si rares et si clémentes qu’elles laissent la porte ouverte à la continuité des atteintes aux droits et à la dignité des personnes détenues et de leurs proches.

Sur Lyon, les familles de détenus se mobilisent pour dénoncer l’inertie carcérale et le mutisme de l’institution par rapport aux nombreuses personnes mortes en détention. Regroupées autour de l’Association des Familles en Lutte contre l’Insécurité et les Décès en Détention (AFLIDD), elles demandent entre autres que la lumière soit faite sur les conditions des décès de leurs proches qui leur paraissent suspectes.

La plupart des personnes décédés sont des jeunes incarcérés pour des « courtes peines », si tant est que l’on puisse s’exprimer de la sorte. Ainsi Mehdi Reziga, 22 ans, originaire de Vaulx-en-Velin, était condamné le 18 janvier 1999 à six mois d’emprisonnement dont trois avec sursis à la maison d’arrêt Saint-Joseph, à Lyon pour « rébellion à agent ». Suite à une altercation avec un surveillant, il est condamné à trente jours de quartier disciplinaire. Le 2 juin dernier, cinq jours avant sa sortie du mitard, quinze jours avant sa sortie de prison, il meurt dans des conditions obscures. Smaïl Massioui, 21 ans est incarcéré à la maison d’arrêt de Saint-Paul à Lyon, le 1er mars 1998. Il est transféré à la maison d’arrêt de Villefranche le 6 mai où il est retrouvé pendu au matin le 7 mai. Laurent Langlois, 20 ans, est incarcéré à la maison d’arrêt de Saint-Paul à Lyon le 16 février 1999. Un télégramme téléphonique du directeur de la prison informe la famille du décès de Laurent. Cette dernière a constaté des traces de coups au niveau des côtes, un hématome dans le dos et derrière l’oreille gauche. La liste est longue des jeunes détenus morts en détention. Souvent les mêmes scénarii se retrouvent. Il n’est pas rare que les décès aient lieu au mitard, les familles en sont averties comme s’il s’agissait d’un événement banal, l’accès au corps est difficile ; les rapports d’autopsie se font indéfiniment attendre, les circonstances des décès ne sont pas clairement établies… Face à un tel constat, différentes plaintes des familles sont en cours. Par ailleurs, plusieurs manifestations ont eu lieu pour dénoncer cet état de fait.

Ainsi le 8 décembre - le jour de la fête des lumières à Lyon - une centaine de personnes étaient mobilisées pour manifester devant la prison Saint-Paul/Saint-Joseph contre les décès obscurs de leur proches. Les familles n’attendent plus qu’on leur donne la parole, elles la prennent pour faire entendre leur souffrance et leur révolte et demander que la vérité soit faite en la mémoire des victimes. Les détenus que l’on dit « suicidés » sont les suicidés de la prison, elle qui ne tolère aucune évasion et qui est censée veiller aussi sur la sécurité des personnes qu’elle détient au secret. Dans les colonnes du journal « Le Monde », Gilles Deleuze écrivait en 1972 en réaction à une vague de suicides dans les prisons : « Le suicide tend à devenir un acte désespéré de résistance chez des hommes qui prennent une sorte de conscience politique de leur situation, et qui n’ont que leur corps pour lutter (grève de la faim, automutilation, suicide) ». Selon le philosophe, ces suicides n’étaient pas l’effet d’une « vague d’imitation » mais la mise en accusation du régime pénitentiaire. Si les temps ont changé (…), il semble que la réalité carcérale ne se soit pas transformée sur le fond. Ne serait-il pas temps de reconnaître la parole des détenus et de leurs familles - droit de vote, droit d’association… - afin que la parole ne cède pas la place à cet autre langage qu’est la violence sur soi ou sur autrui ? A travers les suicides, n’y a-t-il pas un avertissement que l’administration pénitentiaire et plus largement l’institution judiciaire devraient prendre en considération avant que la marmite n’explose ?

Sociologue ; co-auteur de Sexualités et violences en prisons avec Daniel Welzer-Lang et Lilian Mathieu, éditions Observatoire international des prisons/Aléas, novembre 1996.

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