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Sortie du DVD de Notre Monde

Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
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© Passant n°36 [septembre 2001 - octobre 2001]
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Encierro en Bilbao


Bilbao. Jeudi 26 juillet. Las ocho de la tarde. Début de soirée dans le casco viejo.

Sur la toute petite place qui jouxte la cathédrale, un groupe de soixante à soixante-dix personnes autour d’un jeune orateur. Je me mêle à la foule. Propos en basque. Je ne 0 que des bribes, mais le sens est évident : hommage à la militante morte en manipulant les explosifs… Le drapeau d’Euskadi sort d’une veste. Deux ou trois slogans.

On repart vers la place centrale. Soudain, des sirènes de police, une brusque cavalcade. Quatre fourgons de la police basque. Des hommes casqués, masqués, armés de fusils d’assaut qui descendent. Balles en caoutchouc, certes. Mais tirs à dix mètres à peine vers les jeunes en fuite (je suis formel : pas en l’air ; à dix mètres, droit sur les gars). Panique dans les rues. Confusion.

Je n’approuve certes pas les attentats aveugles. Je suis bien perplexe devant la stratégie actuelle de l’ETA. Je ne suis pas certain de comprendre les raisons de la lutte armée qui la guident aujourd’hui.

Mais je témoigne d’une intervention policière en forme de guet-apens. De la violence gratuite de l’intervention sur un groupe ni agressif, ni belliqueux. Celui qui parlait à la foule avait le calme de quelqu’un qui explique et affiche des convictions, sans haranguer ou chauffer l’assistance, et ne se dégageait de cette sorte de cérémonie qu’une émotion non feinte. Ceux qui l’écoutaient n’étaient pas des terroristes. Pas même des complices. Ou alors une descente de police s’impose chez chaque commerçant qui a accueilli un fuyard avant de tirer son rideau, dans tous les troquets à l’heure des tapas et du vino tinto devenus spontanément lieux d’accueil.

Sans doute le rassemblement était-il interdit. Ce que j’ai pu saisir des propos tenus n’était pas innocent. Rien, pour autant, ne justifie la disproportion choquante entre cette violence délibérée et la réalité d’une soixantaine de jeunes réunis.

A voir l’état des deux gamines apeurées qui ont couru vers nous en ultime espoir de refuge, ou à deviner leur âge (seize ans ?), je n’ai pas de peine à imaginer qu’elles vivaient leur baptême du feu. Si, dans quelques années, l’une d’entre elles pose une bombe ou meurt comme Olaia victime de ses explosifs, celui qui, juste devant moi, a mis en joue les jeunes qui s’étaient réunis (avec celui dont il tient ses ordres) y aura une part de responsabilité que je n’oublierai pas.

Hier soir, c’était bien un encierro : les bêtes courraient derrière.


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