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Sortie du DVD de Notre Monde

Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
Rassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°38 [janvier 2002 - février 2002]
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Le J.T.M.*


News broadcast and forecast for outcasts (and for you, guys in the boondocks…)1



lors là ! alors là ! On m’a passé commande (songe) ! Il paraît qu’il y a des amateurs(trices) (resonge) pour feuilleter mon journal… « du » bord !

« Mickey, tu es un spécialiste (mensonge) de la retransmission : arrange-toi ! »

Bon. Ceci dit, calmosse, mon Mickey : pas de macrocéphalie prétentieuse, t’as déjà la paire d’oreilles mahousse, le museau qui brille, et une conséquente queue… Tu pourrais, pour de vrai, devenir monstrueux !..

Je fais donc décoller ma chronique du 11 septembre 2001, histoire d’avoir une date forte au départ (Ils le disent tous : « PLUS RRIEN NE SERA PAAREEILL ! »). Mais, tout d’abord, un grand bonjour aux petits bébés qui viennent au monde, et un pied de nez à Gillou, Sergio, aux autres, plus deux citations tirées de La porte de Damas de Robert Stone…

« Ils avaient l’humour, le détachement qui leur permettaient de bien vivre, grâce à des choses que lui-même ne pouvait s’empêcher de prendre au sérieux… »

« Madame Meir avait dit qu’elle pardonnait tout aux Arabes, sauf d’avoir rendu les Israéliens cruels et brutaux ; à leur propre image…

– Cette déclaration, dit Ernest, marque le point le plus bas de l’histoire morale du sionisme. » (retraduire en anglais)



Onze septembre 2001 : 19h14



Ext. Lumière tamisée du jour finissant.

Je rentrais chez moi, ce soir-là. En motocyclette : une 125… (vous savez le twin Honda hyperclassique). Il pleuviotait.

Vrai que j’avais trouvé les totomobilistes nerveux sur le boulevard… Deux ou trois dangereux avaient essayé de me percuter. À plusieurs reprises, j’avais été obligé de me réfugier sur le trottoir glissant, afin d’éviter une jambe estropiée ou bien la pénétration profonde d’un rétroviseur panoramique entre les côtes…

Pouvez pas savoir : la Société libérale avancée fabrique des tueurs solitaires de petite masse en série… (Foutre et Dieu du ciel : les gens raffolent de l’ordre perverti !)

Moi-même, à cette l’heure-là, j’avais des idées de meurtres spectaculaires – et à options + peinture métallisée – plein le casque…

Donc, disais-je, je rentrais chez moi. (C’est long : il faut que j’enlève mes lunettes, l’intégral, le Barbour qui pue, les gants, que je me repeigne, que je trouve les clés du garage, que je n’oublie pas de fermer le robinet d’essence, et cætera… (Ma fille – Leelou – dit que je ressemble à un minable alien, que je devrais changer de casque, de moufles, que j’ai une tronche pas possible, ringarde, qu’il n’est pas question que je l’amène à l’école dans ces conditions…)

Je dois vous expliquer ici – autrement vous n’allez pas suivre – que je parque ma moto chez un voisin ; pas de garage perso…

Durant les quinze jours qui suivirent l’acquisition de l’engin, j’ai pris des mesures : angles, pente, longueur… Je voulais que la moto grimpe les trois marches de chez moi sur une rampe ; pas simple : soixante deux centimètres à franchir, plus le trottoir… Une planche solide, minimum trois mètres…

À la fin, Max, un voisin pragmatique, s’est approché : il m’a pris par l’épaule et m’a bégayé dans le conduit auditif : « Mickey, teuh, teuh fais pas chier ! Trop lourd ! Je teuh, teuh laisse le côté droit du garage… »

Je le faisais souffrir avec mon mètre ruban et mon air réfléchi…

C’est ça Bègles…



Ext. Nuit tombante. La scène est principalement éclairée par le phare de la moto.

Au moment où j’enlève le casque, cette soirée du 11 septembre 2001, voit-y-pas que le Maxou accourt droit sur moi, sourire et dentier éclatants, et même plus, hilare complet, la glotte rose dans le courant d’air !

« – Ah, ah, ah ! Le grand Satan : boum ! Allah D… d… dans les tours du Oui, hurlez, têtes cintreurs ! »

Pas longtemps avant, des barbus avaient dessoudé Massoud. Mais là, je me suis dit qu’il disjonctait complet : qu’il avait fait l’acquisition d’un jeu électronique dans le genre Goth, ou Imperial qu’il me rapportait quelque histoire impériale confectionnée par un Toni Negri devenu entre-temps concepteur de logiciels, que j’allais avoir droit à une petite démonstration dans peu de temps, pour ne pas dire sur-le-champ…

Une fois, déjà, il m’avait fait un fastidieux exposé sur le moteur de sa nouvelle Fiesta : un moteur japonais. Un D.O.H.C, seize soupapes ; origine (selon Max) Kawasaki ! Putain ! Ça me revient, maintenant ! Rien que l’épelage m’avait bouffé la tête… À la fin de sa conférence – sensiblement hachée : « ka…ka… » –, il me semblait que les phares de la Ford me fixaient et que le radiateur se tapait une soupe de nouilles ou du sushi…

« Max, c’est-y vraiment mieux Ford ?

- Nooon ! Mais, mais je… jeuh connais le représentant ! »

Max, c’est le retraité, normes Afnor décembre 95… Un ancien mécano de poids lourds… Un passionné de mécanique, de course automobile et… de la jacte ! (Jamais il ne « cale » « Max », oh ! oh !) Il possède une carte club du General Intellect… Il développe, développe, sur tout, sur rien… Plutôt communiste ; mais la bistouriquette à droite : c’est ce que dit sa moitié. Un chevènementiste qui s’ignore…

Des fois, le bègue fulgure : une putain de lucidité le traverse, comme une transe (il a fait l’Algérie et, rare, il aime bien les Algériens) ; et il y a les « Tu, tu, tu sais ? » Et boum ! Ça vous tombe sur la tête, et vous vous dites : « Pas con du tout ! Plus juste, tu meurs ! » Et il faut le voir vous réparer la durite qui fuit ! Plonger le doigt cambouiseux dans l’inaccessible !

Le soir du 11 septembre… Il a ajouté : « C’est, c’est pas fini ! Euh ! Euh ! D’autres sont, sont, en… en… core en l’air, eh ! Eh ! Vvvvuu le b… bordel facile, ils ont ddd… de quoi se faire le Peuh… le Pin… le … Pentagone et la Mémé… la Maison Blanche dans la f… fffoulée ! »

Un autre retraité – du voisinage lui aussi – s’est approché : un ancien de l’armée de l’air reconverti dans l’aiguillage du ciel…

« Max ! Vous n’y pensez pas ! Le Pentagone ! Les missiles Patriot ? Hein ! Qu’est ce que vous en faites ? Les missiles Patriot ? De la gnognote ? De la merde en tubes ? Hein ?

– Et vou… vous croyez qu’…qu’un disque de frrrein d’… d’… d’un 38 tonnes Renault est sur… SUR… DIMENSIONNE ? Ahhhh ! Ahhhhh ! (rire sarcastique…)

Fulgurant, non ?



Int. Une lampe de salon éclaire la pièce.

Je me suis précipité sur la télé : j’avais gardé l’anorak, j’ai commencé à suer. J’ai vu l’image où le jet fonce dans la tour, des gens courir ; seuls ; en rangs ; partout. J’ai entendu bafouiller Patrick Poivre d’Arvor…

Pas possible ! Excité, je me suis précipité pour me confectionner un Martini commak (comme un normal, mais en plus grand : un maxi best quoi !) Alors là, l’accident : j’essaye de régler la télé pour éviter de tout voir en monochrome rouge (le canon à électrons qui déconne), et, patatras ! Je déverse le godet sur le récepteur ! Ça a grésillé une seconde, puis, tout s’est éteint…

Ghislaine n’a pas du tout goûté mes explications : « Mickey, sale con ! Des gens meurent sur écran et, toi, tu te bourres la gueule, tu gerbes le matériel ! On va se retrouver mal et même sous-informés ! »

Ah ! Ces délicieuses petites françaises…

J’ai trifougné l’engin, défait le capot plein de poussière, essuyé l’ensemble du mieux que j’ai pu : j’ai rebranché la prise entre deux éternuements, appuyé sur le bouton : miracle ! La téloche s’est remise en marche ! Avec une méchante dominante verte, cette fois !

J’ai revu l’avion foncer dans la tour ; en vert. Les mêmes gens courir ; en vert. J’ai entendu P.P.D.A bafouiller à nouveau ; tout vert. Il évoquait le dénommé Bin Laden (il porte le même nom que la vieille machine à laver de ma grand-mère : une bonne marque…)

Ghislaine (elle peut être de très mauvaise foi) m’a remercié : la dominante verte, ça faisait du change ; comme l’Euro… On s’emmerdait pas vraiment avec moi… Je lui ai proposé un Martini bianco : elle m’a regardé d’un drôle d’air, a attendu quelques secondes, puis m’a tendu un verre qui se tenait propre sur lui dans l’évier. Bon ! On était encore loin d’une nuit de grande fête, mais, en mettant du mien…

Une fois le quatrième Martini-gin englouti, je me suis endormi dans le fauteuil. Il paraît que je dors la bouche ouverte. Leelou, elle dit : « les vieux, alcooliques, genre mon père, me dégoûtent ! » Une sensible ; elle m’adore…

Quand je me suis réveillé, la télé marchait toujours : j’ai revu un quadriréacteur défoncer une des tours jumelles ; en vert. Un autre quadriréacteur traverser sa sœur (jumelle) : en rouge. P.P.D.A qui disait que rien ne serait plus pareil : tout vert. Le même avion fracasser la même tour ; en rouge. Un pompier, tout rouge qui criait ; une tour rouge s’effondrer dans un nuage vert…



Int. nuit. La scène est faiblement éclairée par un Velux carré.

Enfilé dans les draps blancs, j’ai caressé avec mon pied la douce cheville de Ghislaine. Un signal. J’ai essayé de ne pas la griffer : une fois, deux fois. Elle m’a filé un coup de pied et m’a proposé de continuer ma nuit, tranquillo, autrement j’allais m’en prendre une bonne…



Treize novembre 2001 :



Int. Petit matin. La scène se passe dans une salle de bain.

Je me demande bien ce que je peux vous transmettre de mieux… Si, peut être : un autre avion vient de tomber hier après-midi dans New York, sur le Queens (un quartier ambigu). Entre temps il y a eu une guerre de plus en Afghanistan ; avec un bombardement supérieur à tout ce que l’on a connu pendant la deuxième guerre mondiale.

Ah oui, aussi ! Les oignons ont les peaux épaisses et nombreuses : il devrait faire froid cet hiver…



1er décembre 2001



Bon : le pauvre Mickey se sent miteux et mité… Y a que l’museau qui brille… J’ai chopé la grippe… Je vais me faire le grog des « trois chapeaux »… Une recette d’un vieux compagnon de route… Tu prends un chapeau ; mexicain de préférence… Tu le poses au pied du dessus de lit… Tu le fais gigoter… Toi, sous les couvertures, tu t’enquilles une bouteille de rhum…

Quand t’en vois trois, t’es guéri… Simple ! Faut aimer le rhum et la Grande Roue…

Bientôt mon anniversaire… Ghislaine va me confectionner un petit repas : huîtres, chipolatas, et un chapon pour me faire sentir le poids existentiel de mes testicules… Bon anniversaire, Mickey !



Plus tard en décembre



Putain ! Je pouvais pas l’imaginer ! La cassette de Bin Laden ! Max ne me fera pas de commentaire : il s’est fait lourder par sa bourgoise. Je l’ai vue partir dimanche, sa Fiesta fumait dans le froid… Bon… Bin Laden ! Y existe pas ! J’en suis sûr maintenant… Nous sommes embarqués dans un immense jeu de rôle basé sur le monopoly ! Me demande pour New York, les tours, tout ça… Triple buses ! Ils n’auraient quand même pas spéculé sur l’emplacement ! Je vais relouer la cassette de Matrix…



Pierre Cocrelle



P.S. Pour les forces spéciales de tous pays : faites rire les populations indigènes. Ils respectent les comiques troupiers. Que demander de mieux ?

War is not sport ! Even if you’re the one stakin’ the braggin’ rights! (The odds ? Don’t forget sump’m :’ tell you ahead a time…)2

* Le petit journal – transmissible – de Mickey.

(1) Informations et bulletin météo pour tous les paumés du monde (et pour vous, les garçons, qui crapahutez en Afghanistan).
(2) La guerre n’est pas un jeu ! Même si c’est toi qui te la joues et mets la pression (tes chances ? Bonhomme, n’oublie pas quelque chose… Je t’aurais prévenu. (Refrain de Fort Bragg).

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