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Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
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© Passant n°47 [octobre 2003 - décembre 2003]
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Il y a un déficit ? Cherchez l’excédent !


Raffarin a le cœur sur la main et parle la main sur le cœur1. A défaut de faire le bonheur des Français, il veut leur éviter le malheur de l’économie qui est le déficit. Justement, nous souffrons de multiples déficits. La solution est donc simple, et Raffarin qui est un homme simple de la France d’en haut mais tout près de la France d’en bas, le répète : chassons le déficit com-me autrefois on chassait le gaspi.

Les retraites, l’assurance maladie de la Sécurité sociale, l’assurance chômage des intermittents du spectacle, le budget de l’Etat, voilà quelques-uns des déficits qui soi-disant nous accablent et qui empêchent de dormir Raffarin, Seillière, Mer et quelques autres. Il ne manque que le déficit du commerce extérieur pour que le tableau soit

complètement noir. C’est l’exception : la France exporte plus qu’elle n’importe de marchandises et donc sa balance commerciale est excédentaire depuis plusieurs années. Cette exception peut aider à comprendre que tout ce qui est raconté sur les déficits est du boniment.



Derrière le déficit, un excédent



Ouvrons les deux yeux : il n’y a pas de déficit sans excédent. L’un est la contrepartie obligatoire de l’autre. Ainsi, quand un pays a un déficit commercial extérieur, cela signifie que le reste du monde est excédentaire par rapport à lui. Et quand il connaît un excédent comme la France, cela implique qu’un autre pays ou plusieurs autres enregistrent un déficit par rapport lui. Peut-on en conclure quelque chose quant à la vitalité des différents pays ? Non, car tout dépend de la nature du déficit ou de l’excédent. Le commerce extérieur français est excédentaire depuis longtemps parce que les entreprises françaises investissent peu et importent peu : 8,7 milliards d’euros d’excédent commercial en 2002 et 13,2 milliards prévus en 2003. Donc, dans ce cas précis, l’excédent cache une faiblesse chronique, dangereuse pour l’avenir. A l’inverse, une reprise des importations pourrait signifier une reprise de l’activité, quitte à ce que la balance commerciale soit temporairement déficitaire. De plus, vouloir à tout prix en permanence un excédent commercial trahit une conception impériale digne des mercantilistes du XVIIe siècle qui croyaient que l’amélioration absolue du sort des uns ne pouvait venir que de la détérioration de celui des autres.

Le budget de l’Etat français est en déficit quasi permanent d’au moins une bonne quarantaine de milliards d’euros par an. La prévision est de 50 milliards pour l’année 2003. Mais, chaque année, le déficit est comblé. Comment ? Depuis qu’il est interdit à la Banque centrale de créer de la monnaie pour le Trésor public, le déficit du budget de l’Etat est comblé par le recours à l’emprunt.

Auprès de qui ? Auprès des agents économiques, particuliers ou organismes financiers, qui ont une capacité d’épargne… excédentaire. On retrouve la même règle que précédemment : le déficit des uns est l’excédent des autres. C’est ici que cela devient cocasse, sinon cynique : Chirac et Raffarin baissent les impôts des riches, donc creusent les déficits publics qu’ils comblent en empruntant l’argent de ces mêmes riches, trop heureux de payer moins d’impôts et de pouvoir placer l’argent ainsi épargné en bons du Trésor rapportant intérêts. Au lieu de payer à l’Etat des impôts supplémentaires qui éviteraient les déficits, les riches reçoivent de l’argent de l’Etat en récompense de leurs prêts. Et le

rapprochement vaut son pesant d’or : chaque année, les intérêts versés par l’Etat à ses créanciers équivalent approximativement au déficit. Prenons le problème à l’envers : si demain on décidait de ne plus payer des

intérêts aux créanciers de l’Etat, le déficit

disparaîtrait immédiatement, à dépenses publiques d’investissement et de fonctionnement constantes.

Ce bon Raffarin a annoncé pour la rentrée de l’automne 2003 la mise en chantier de la réforme de la Sécurité sociale. Parce que la branche maladie de celle-ci est en déficit : 30 milliards d’euros de déficits seront cumulés à la fin 2004, dont 3,4 pour 2002 et environ 10 pour 2003. Les Français, que l’on exhorte de consommer et même de surconsommer pour que la sacro-sainte croissance économique reparte, se sont mis dans la tête de se soigner tant et plus, même quand ils ne sont pas malades, ou pas trop. Peut-être pensaient-ils être décorés de l’Ordre national du mérite. Eh bien non : augmenter la consommation de médicaments et de journées d’hospitalisation de 5 ou 6% par an est une faute grave, surtout quand la consommation de bagnoles patine à 1 ou 2% de plus par an seulement. Les dépenses de santé se sont élevées à 157,9 milliards d’euros en 2002 (environ 10,4% du produit intérieur brut) soit en moyenne 2 579 euros par Français, c’est-à-dire 77,5% de plus qu’en 1990. Si la consommation de soins augmente plus vite que la richesse totale produite, sa part dans le PIB augmente. Que la collectivité décide aujourd’hui de consacrer un dixième de sa richesse à la santé (et un peu plus d’un dixième aux retraites, un cinquième en 2040, rappelons-nous), c’est insupportable par Raffarin, Seillière, Mer et Fillon parce que ces dépenses sont socialisées. Mais si la Sécu est en déficit, c’est que les remboursements sont supérieurs aux cotisations sociales. Et qui a bénéficié depuis plus de dix ans d’allègements de cotisations sociales ? La bande à Seillière, c’est-à-dire les entreprises qui ont ainsi arrondi leurs… excédents d’exploitation. Au bas mot, une quinzaine de milliards d’euros par an. Et si la Sécu rembourse trop, qui fixe les prix des médicaments ? Les multinationales pharmaceutiques dont les profits – leurs excédents d’exploitation – sont à la mesure des déficits des comptes sociaux.



Derrière la dette, une créance



Raffarin n’est-il pas un bon bougre dans le fond ? S’il veut diminuer le déficit du budget de l’Etat et celui de la Sécurité sociale, c’est parce que les déficits cumulés année après année grossissent la dette publique qui atteint en France près de 1 000 milliards d’euros. C’est beaucoup et notre bon Raffarin ne veut pas que nous transmettions cette dette à nos descendants. Mais qui dit dette dit créance. Le problème n’est donc pas l’existence d’une dette intergénérationnelle puisqu’il y a simultanément une créance du même ordre. Le problème est de savoir qui détient cette créance et qui paiera le service de la dette (intérêts et remboursement). Or si les riches paient moins d’impôts parce que l’impôt sur le revenu est rabaissé par Raffarin (5% en 2002, 1% en 2003 et Chirac tient à 3% pour 2004), ce seront les pauvres qui paieront le service de la dette par leurs impôts indirects. Des déficits et une dette ne sont pas dangereux en soi s’ils servent à investir pour préparer l’avenir. En revanche, ils le deviennent si l’Etat se désengage et si une part importante du budget est mangée par les intérêts versés aux nantis. La France est dans ce cas : la fiscalité est injuste et Raffarin va aggraver son injustice.

Seillière a obtenu de son gouvernement aux ordres et de son complice Chérèque que l’assurance chômage des intermittents du spectacle soit complètement démantelée, sans que les causes profondes de la crise soient visées, à savoir le travail au noir, voire gratuit, imposé aux intermittents pris en charge alors financièrement par l’UNEDIC. Au nom de l’argument suivant : le déficit est énorme (800 millions d’euros) si l’on compare les allocations chômage attribuées aux travailleurs du spectacle et leurs propres cotisations2. Evidemment ! Cet argument

est aussi stupide que de dire que les remboursements de frais médicaux aux malades sont supérieurs aux cotisations que ceux-ci versent. C’est le principe même de la Sécurité sociale : les biens portants paient pour les malades et tous les travailleurs paient pour les chômeurs. Il faut être aussi décervelé ou idéologue qu’un Premier ministre et aussi cynique qu’un Président du MEDEF pour vouloir faire payer la santé aux seuls malades et le chômage aux chômeurs3.



Le miracle des loups :

le déficit collectif est changé

en excédent privé



Mais on y vient tout doucement. La réforme des retraites a été conçue sur ce modèle-là. Détricoter les retraites collectives au nom d’un soi-disant déficit des caisses de retraites. Ce déficit est créé de toutes pièces par le tarissement des cotisations sociales (voir plus haut) et par le renflouement des profits – excédents d’exploitation – qui captent tout le surplus de richesse créé tandis que la masse salariale stagne. Quand le déficit atteindra un degré tel qu’il faudra y remédier, les bons Samaritains du patronat de l’assurance accouront pour proposer leurs services. Ils procèderont à un tour de magie : ce qui était du déficit collectif deviendra de l’excédent privé. Et si ça ne marche pas ? Alors, ils sortiront de leur sac la dernière malice : 300 millions d’euros publics pour renflouer l’entreprise privée Alstom et la nationaliser temporairement, le temps qu’el-le se refasse une santé, c’est-à-dire qu’elle renoue avec les excédents !

Il faut donc se méfier de ceux qui crient « au loup ! » car ce sont eux les loups. Et les loups de la nature et du monde des fables sont des agneaux à côté des loups du monde de la finance et de leurs acolytes bêlants.

A suivre…

(1) La chronique « La bourse ou la vie » ne rapporte que des choses vraies. Ecoutons Raffarin : « La France des festivals a été, cet été, blessée au cœur. La déception des artistes, du public et de ceux qui vivent de l’activité économique générée par ces festivals, je la partage, profondément. La culture est faite pour rassembler, pour tendre la main à l’autre, non pour diviser, non pour voir les uns et les autres se déchirer, mais pour choisir la création plutôt que la décréation, dont parlait Jean-Marie Domenach. » J.-P. Raffarin, « Un nouveau souffle pour le spectacle vivant », Le Monde, 6 août 2003, souligné par moi.
(2) « Depuis des années, le régime des intermittents est au bord du gouffre » annone Raffarin dans le même article, op. cit.
(3) Le baron du MEDEF a encore obtenu du gouvernement la publication au Journal Officiel du 27 juillet 2003 d’un décret diminuant les indemnités de licenciement des salariés des entreprises en faillite : le plafond jusqu’ici fixé à 126 464 euros tombe à 58 368 euros et à 48 640 euros pour les salariés embauchés depuis moins de deux ans.

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